le Cern produit le premier faisceau d'antihydrogène
Les chercheurs ont utilisé l'expérience Asacusa, au Cern, pour comparer la masse du proton et celle de l'antiproton sans découvrir de différence mesurable. Elle va servir à mesurer d'autres caractéristiques des atomes d'antihydrogène. Les chercheurs espèrent y trouver des traces d'une nouvelle physique au-delà du modèle standard. © Cern
Antimatière : le Cern produit le premier faisceau d'antihydrogène - 1 Photo
L’antimatière n’a pas livré tous ses secrets. On ne comprend pas pourquoi l’univers observable apparaît très majoritairement constitué de matière alors que les lois du modèle standard de la physique des particules, spectaculairement confirmées une fois de plus par la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs, prédisent qu’il devrait y avoir presque autant d’antimatière que de matière dans le cosmos. Il s’agit de l’énigme de l’antimatière cosmologique.
C’est pour tenter de percer ce mystère que les chercheurs du Cern tentent depuis plus de 20 ans de faire des mesures précises sur des atomes d’antihydrogène et des antiprotons. En 1995, ils ont annoncé avoir produit pour la première fois au monde un atome d’antihydrogène et en 2010, ils ont révélé qu’ils étaient en mesure de les piéger. En effet, pour faire des mesures solides, il faut disposer d’un grand nombre de ces antiatomes. Or, comme toutes les particules d’antimatière, les positrons et les antiprotons de ces antiatomes se désintègrent en émettant des rayons gamma lorsqu’ils rencontrent leurs antiparticules propres, respectivement les électrons et les protons. Il a donc fallu mettre au point un dispositif pour les isoler des atomes de matière normale et les piéger. On les maintient dans ce piège à l'aide d'un champ magnétique. Ces atomes possèdent en effet un moment magnétique et se comportent donc comme de petits aimants.
L'antimatière et la symétrie CPT
Ce choix de l’atome d’antihydrogène pour percer les mystères de l’antimatière et tenter de trouver des traces d’une nouvelle physique n’est pas anodin. Il y a d’abord le fait que l’hydrogène constitue environ 75 % de la matière observable. Surtout, c’est l’un des systèmes physiques les plus simples et les mieux décrits théoriquement avec les protons et les électrons. Or, il existe un théorème très profond, issu des lois de symétrie, qui s’applique à toutes les théories quantiques relativistes des champs, donc au modèle standard : le théorème CPT.
Une présentation de l'expérience Asacusa en 2011, alors que l'on venait de l'utiliser pour mesurer la masse des antiprotons. © Cern, YouTube
Il a été prouvé d’abord par le prix Nobel de physique Julian Schwinger en 1951, puis de façon plus rigoureuse et complète en 1954 par Gerhart Lüders et Wolfgang Pauli. Selon ce théorème, le comportement d’un atome d’antihydrogène devrait être le même que celui d’un atome d’hydrogène. Il devrait tomber dans le champ de gravitation de la Terre de la même façon et il ne devrait pas être possible de découvrir des différences au niveau des spectres d’émission et d’absorption des deux objets. Si tel n’était pas le cas, on pourrait peut-être comprendre pourquoi l’univers ne semble pas contenir d’antimatière, à part celle présente dans les rayons cosmiques et qui résulte, comme sur Terre, de collisions ou de désintégrations avec des particules de matière.
Les membres de l’expérience Atomic Spectroscopy And Collisions Using Slow Antiprotons (Asacusa) au Cern viennent de faire savoir qu’ils se préparaient à un nouveau bond dans la mesure précise des propriétés des atomes d’antihydrogène en annonçant, dans un article de Nature Communications, qu’ils avaient réussi pour la première fois au monde à produire un faisceau de tels atomes.
80 atomes d'antihydrogène en vol
Jusqu’à présent, les champs magnétiques qui permettaient de stocker un grand nombre d’atomes d’antihydrogène s’opposaient aussi à l’augmentation de la précision des mesures des niveaux d’énergies hyperfins de ces atomes. Pour contourner ce problème, il fallait pouvoir produire un faisceau d’atomes d’antihydrogène loin des gradients de champs magnétiques élevés de leur piège qui brouillaient les mesures spectroscopiques de ces niveaux. C’est chose faite avec la détection non ambiguë de 80 atomes d’antihydrogène à 2,7 mètres de leur lieu de production.
Il reste encore aux chercheurs à améliorer la qualité des faisceaux d’atomes d’antihydrogène qu’ils peuvent produire ainsi que leurs techniques de mesure sur ces objets. De nouvelles expériences sont prévues pour l’été 2014. Celles avec le LHC ne reprendront qu’en 2015.